15 leçons apprises en 12 ans à la tête d’un média digital

Nicolas Rousse
10 min readJan 27, 2021

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J’en ai fait de belles. J’ai des #fails à mon actif. Il paraît qu’agir c’est s’exposer à l’échec, et qu’il faut célébrer ses ratés. Je me fixe des objectifs d’échecs, et je vais jusqu’à les chiffrer pour m’assurer que j’expérimente constamment. Cet article est ma première prise de parole, et j’ai travaillé dur pour réunir en son sein toutes les conditions du parfait échec !

J’ai la chance de travailler avec de vrais passionnés. J’ai cofondé il y a 12 ans un média digital spécialiste de l’info rugby. Un projet lancé avec 0€, dont l’histoire est exotique, et qui d’après nos clients et des institutions beaucoup plus sérieuses que nous, serait devenu une référence.

Il y a eu de précieux moments de satisfaction. Des victoires, souvent des paliers psychologiques et biaisés, mais qui génèrent un sentiment d’accomplissement plaisant :

  • les franchissements des 1 puis 2 millions de visiteurs uniques mensuels,
  • les caps des 100 puis 200 millions de visites cumulées,
  • le passage de nos 10 ans d’existence.

Il y a aussi eu de véritables privilèges. Des moments mémorables, qui vous font sentir particulièrement chanceux, et laissent des souvenirs qui n’ont pas de prix :

  • assister à la coupe du monde 2011 depuis la Nouvelle-Zélande,
  • vivre des matchs en compagnie de joueurs comme Jonny Wilkinson,
  • se faire troller par des supporters sur les réseaux sociaux.

En 12 ans, nous avons connu des échecs et des victoires, ces dernières se créant souvent sur les cendres des premiers. Les échecs amènent de l’expérience. Les victoires amènent de la bière. Les échecs aussi devraient amener de la bière.

Voici 15 leçons apprises grâce à l’expérience et à la bière.

1/ Pour les lecteurs, l’information est gratuite et le savoir est payant.

Il n’a jamais été aussi facile d’accéder à l’info. Elle est partout. Des réseaux sociaux, aux sites d’informations. L’info générale n’a que peu de valeur, tout le monde en dispose, ou y accède en 2 clics. On n’achète pas l’information, mais on est prêt à faire chauffer la CB pour :

  • du savoir => des analyses, des formations, des compétences, des enquêtes, etc.
  • un avantage => l’accès à l’information en premier, l’accès à un groupe, etc.
  • une expérience => l’accès à une personnalité, etc.
  • des convictions => soutenir une cause, un projet, une équipe, etc.

2/ Avoir une identité est clé.

Sortir du lot est central. Penser valeur pour le lecteur et construire son modèle autour de la création de valeur. Même quand on part avec moins de moyens que la concurrence. En fait, surtout quand on a moins de moyens que la concurrence. Qu’est ce qui vous rend différent ? Quelles sont vos valeurs ? Comment votre identité est-elle différente des autres ? Comment se matérialise-t-elle au quotidien ?

3/ L’incertitude est permanente.

Surtout en temps de covid. Le meilleur moyen de gérer l’incertitude est de se focaliser sur les certitudes, même si elles sont peu nombreuses. Et ce qu’on sait pour sûr en ce moment, c’est ce qui est sous notre contrôle. Est-ce que je maîtrise les choix budgétaires de nos clients, ou l’intérêt des lecteurs pour un sport quand les compétitions sont arrêtées ? Non. Ce que je maîtrise, c’est la qualité de ce que j’écris, les process que je mets en place, les concepts que je crée, les idées que j’amène, et que je propose à mes contacts, ce que je fais au quotidien pour sortir du lot.

Le vent est le même pour tous. Vous pouvez vous plaindre parce qu’il ne souffle pas. Ou affiner votre feuille de route, garder un rythme de travail et mobiliser votre équipage, faire le bilan et tirer les enseignements de la dernière traversée, les transformer en actions, puis affiner les réglages qui peuvent l’être, hisser vos voiles, et vous préparer à briller de mille feux quand la brise soufflera de nouveau.

4/ Simplifiez.

J’aime les approches minimalistes. Vraiment. Focalisez-vous sur une seule chose, mais faites-la mieux que les autres. Écoutez Pareto et choisissez les 20% des actions responsables des 80% des résultats.

Vous perdez votre temps à vouloir tout être. En ciblant tout le monde, on ne cible personne. J’ai fait ces erreurs. Je suis parti dans tous les sens. J’ai voulu construire un carrefour du ballon ovale en ciblant tous les acteurs du rugby. D’abord les joueurs. J’ai passé 236 heures à coder et maintenir une communauté de joueuses et joueurs qui aura royalement apporté 0.4% d’audience supplémentaire sur 2 ans.

Par chance, l’expérience m’a appris à identifier et éviter les projets déconnectés de nos objectifs. Fort de ce constat d’échec, je suis donc reparti plein d’enthousiasme dans 135 heures de code et maintenance pour améliorer cette fonctionnalité dont personne ne voulait.

On apprend de ses échecs.

A force.

5/ Simplifiez encore.

Quand on commence à avoir de la visibilité, on commence à attirer le regard et les intérêts. On vous fait des propositions.

Tant mieux.

Néanmoins, ce sont également potentiellement ces opportunités qui vous empêcheront d’atteindre vos véritables objectifs, comme un écho à la fameuse règle des 5/25 :

  • Faites une liste des 25 objectifs les plus importants à vos yeux.
  • Classez-les par ordre d’importance.
  • Prenez les 20 derniers points, et sortez-les de vos plans d’actions : ce sont ceux qui vous empêcheront d’atteindre les 5 plus importants.

Une opportunité n’en est une que si elle est cohérente avec votre vision.

6/ Oubliez les postulats. Ecoutez la data.

Face à un problème, tout le monde aura un avis. Certains avis brilleront plus que d’autres. Certains parleront plus fort que d’autres. Certains savent se montrer plus convaincants que les autres. Ce n’est pas pour autant qu’ils auront raison. La seule méthode valable, objective, prouvée, pour prendre une décision éclairée, c’est d’écouter ce que disent les chiffres. Clarifiez, expérimentez, mesurez, analysez, et tranchez.

7/ Ecoutez vos lecteurs.

Mais pas tous. Pour faire écho au point précédent, l’erreur est ici aussi d’écouter ceux qui font le plus de bruit. Ils ne sont pas représentatifs de votre lectorat. On a tendance à écouter le bruit, à balayer les compliments. Nous avons la chance de recevoir plus de compliments que de critiques. Mais en bons êtres humains moyens que nous sommes, nous retenons avant tout la critique. Surtout celle qui n’est pas constructive, et qui nous affecte.

Rationalisez. Faites des analyses, des sondages, et observez ce qu’ils font pour vérifier ce qu’ils disent :

  • Commentaire : “Marre des articles sur l’arbitrage, on s’en fout !”.
  • Data : “70% des lecteurs lisent les articles sur l’arbitrage jusqu’au bout”.

(données fictives pour l’exemple)

Ce fonctionnement nous permet de prendre des décisions plus justes pour la majorité, avec la satisfaction du lecteur en ligne de mire.

8/ Faites confiance. Dans certaines conditions.

Par défaut, je fais confiance aux gens. En fait, pour être franc, je suis parfois d’une naïveté affligeante. Je me suis fait avoir. J’ai cru au père Noël. Je n’ai pas osé tirer sur sa grossière barbe en plastique chinois pour vérifier qui se cachait derrière. Pourtant, à y repenser, c’était flagrant.

Mais les embobineurs sont bons. J’ai perdu du temps avec des embobineurs. Beaucoup de temps. Pire, j’ai invité des escrocs à ma table. Je leur ai laissé me faire perdre du temps et de l’argent. La visibilité amène des embobineurs en tout genre, des intéressés, sans valeur ajoutée si ce n’est celle d’être de brillants communicants, de cerner vos besoins et objectifs, pour vous faire croire qu’ils peuvent vous aider à les atteindre.

Même à les dépasser.

Largement.

Ils vous font croire que vous sous-estimez votre potentiel, et qu’ils ont la solution pour vous aider à décoller.

C’est trop beau pour être vrai. Ayez confiance en votre expérience. Si c’est trop beau, c’est un premier drapeau rouge. Pour en avoir le cœur net néanmoins, pas d’autre choix que de tester. Quand comme moi, on a la confiance facile, et pour éviter de perdre de précieuses semaines et de précieux mois, il faut se fixer quelques règles :

  • avoir une vision limpide de vos objectifs et vérifier que ce qu’on vous propose d’apporter est clair et en phase avec vos objectifs
  • fixer des objectifs de process, qui ne dépendent que des actions prises par votre contact (ex : dans le cadre de la Coupe du Monde 2019 au Japon, contacter 50 annonceurs locaux)
  • communiquer les objectifs que ces actions doivent contribuer à atteindre (ex : signer x accords au Japon pour un montant de y€)
  • vous mettre d’accord sur la faisabilité de ces objectifs et confirmer la motivation à les atteindre
  • suivre, lors de points réguliers, l’évolution des actions et leur impact dans l’avancement vers vos objectifs (ex : comptes rendus de rendez-vous, retours d’intérêt, nombre d’offres poussées, etc.)
  • évoquer lors de ces points, les difficultés sur le terrain, et les nouvelles opportunités qui apparaissent. Apporter des solutions et ajuster le plan si besoin, en gardant vos objectifs finaux en tête
  • si le travail n’est pas suffisant, ou que la collaboration ne fonctionne pas d’un côté ou de l’autre, coupez court rapidement

Pensez-y. Quand il n’y a pas de suivi, et que vous vous rendez compte que le siège de la société à laquelle vous envoyez de l’argent depuis des semaines est en fait un champ de colza, il est déjà trop tard. Histoire vraie.

9/ Une activité média, c’est se battre sur 2 fronts en même temps.

Diriger un média digital qui vit de la publicité, c’est accepter que vos lecteurs ne sont pas vos clients. Si vous avez une boutique en ligne, vos visiteurs sont vos clients potentiels. Si vous avez un média qui vit de la vente de pub, vos visiteurs et vos clients sont dissociés. Cela signifie qu’il faut séduire et satisfaire deux profils aux enjeux parfois très différents pour réussir. Une des clés réside dans la suppression des silos pour une meilleure circulation de l‘information et du savoir, notamment de l’équipe éditoriale à l’équipe commerciale.

10/ La concurrence est saine.

Il y a de la place pour tout le monde. La concurrence est là pour vous challenger, et vous permettre de donner le meilleur de vous-même. Si vous attirez l’attention de la concurrence, c’est bon signe. Mais c’est aussi le signal qu’il va falloir être encore meilleur.

Être copié est aussi flatteur que frustrant. C’est aussi un signe que vous n’allez pas assez loin, que votre savoir-faire est facilement duplicable, ou que votre positionnement manque de personnalité. Le comportement de la concurrence à votre égard est une donnée comme une autre. Gardez en mémoire que le pire signal de vos concurrents, c’est probablement l’indifférence.

11/ Avoir la plus grosse.

La taille de votre communauté fait plaisir à votre égo. C’est déjà bien, mais ce n’est rien de plus. Combien de directions remplissent leurs dashboards de vanity metrics comme le nombre de followers ? Une communauté saine est une communauté qui a un intérêt dans ce que vous lui dites. C’est une communauté qui échange, fait preuve de bienveillance, et sait vous recadrer quand vous en avez besoin. Augmenter la taille de votre communauté vous permet d’afficher de beaux chiffres. Dans les faits, ce qui compte, ce sont les échanges et l’écoute mutuelle. Ne partez pas à la chasse aux followers, c’est une course sans fin et sans intérêt.

12/ Arrêtez les réunions.

Les réunions sont une perte de temps. Elles ne sont ni apporteuses de solutions, ni créatrices de liens. Dans le meilleur des cas, elles permettent de transmettre des informations. Souvent, on en ressort frustré, avec la sensation d’avoir perdu son temps.

Faîtes plutôt des ateliers. Je n’ai rien inventé, AJ Smart l’a fait avant moi. Un atelier c’est la certitude de rester focus sur l’objectif (générer des idées, résoudre un problème, prendre une décision, etc.) et de s’assurer que tout le monde soit entendu.

13/ Séparez le temps en équipe et le temps seul.

Il y a des moments où il faut être ensemble, et des moments où il faut envoyer du bois. Sachez couper entre l’un et l’autre : quand vous êtes en équipe, soyez vraiment là physiquement et mentalement, et quand vous êtes en production, fermez la porte, qu’elle soit physique ou virtuelle, coupez les notifications, et avancez. Veillez à bien répartir votre temps entre échanges et action.

14/ Vous bossez trop.

Prenez des vacances. Gardez du temps libre. C’est le seul moyen d’y voir clair. Y voir clair, c’est gagner du temps. Beaucoup de temps. Travailler comme un forcené vous maintient dans l’illusion de la productivité. Or productivité et efficacité sont diamétralement opposées.

J’ai travaillé jusqu’à 90h par semaine sur une période donnée en 2015. C’est idiot.

Prendre du repos c’est laisser du temps à sa tête pour digérer toutes les informations que vous lui transmettez. C’est se laisser la place de générer des idées, de résoudre les problèmes, de clarifier et ajuster votre destination si besoin. C’est revenir plein d’énergie. C’est prendre soin de son envie. L’envie est le seul moteur durable, la seule source d’énergie et d’enthousiasme inépuisable qui permet de donner le meilleur de soi-même.

15/ On est tous au service du monde.

Il faut relativiser sur notre rôle. On commente, et on parle de sport. On permet à des passionnés de partager leur passion. C’est beaucoup pour chaque lecteur et peu à la fois ramené aux enjeux de notre monde. La visibilité implique une responsabilité. Il est de notre ressort de nous questionner sur nos valeurs, notre identité, les messages que l’on veut faire passer. De questionner nos choix, de remettre en question nos certitudes, et d’ajuster la mire lorsque nécessaire. S’assurer que l’ensemble de l’équipe comprend ce rôle et adhère à cette mission est un challenge de chaque instant. Cela demande communication, disponibilité, échanges sincères, prise de conscience, recul, et à la fois liberté d’exprimer son identité et ses talents, et responsabilisation face à ses écrits.

J’ai commis toutes ces erreurs en 12 ans, et j’en ai tiré de précieux enseignements. Vous autorisez-vous à échouer ? Vous autorisez-vous à tester de nouvelles expériences ? En attendant la prochaine opportunité de passer 135 heures à développer des fonctionnalités dont personne ne veut, je vous souhaite à tous que 2021 vous apporte les échecs que vous méritez. Qu’ils vous apportent la fierté d’avoir tenté quelque chose de nouveau (en abondance), et de la bière (avec modération).

Images : Free-Photos de Pixabay.

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Nicolas Rousse

Papa et porteur de projets. Epicurien responsable et digital campagnard. J'ai le wifi et des moutons.